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Le début de la fin

 

Le début de la fin… la fin du début peut-être même, enfin un truc de personnes qui vieillissent sans être trop âgées pour autant, mais enfin c’est une autre discussion.

 

Je vois son regard, rentrant de chez le toubib, pas sereine, je bois un café avec le facteur, je remarque…

Puis, le préposé s’efface !

— Alors, la visite chez le toubib ?

‘’Putain ! J’ai oublié de lui demander comment était le résultat de l’analyse de sang d’hier ! Je suis un imbécile ! Comment ai-je pu oublier cela ?’’

—  Les globules blancs !

— Comment cela les globules blancs ? Ah oui !

— J’en ai beaucoup trop !

Je n’ose plus rien dire, tout ce qui touche au sang me fait penser au pire… je crains dans un mutisme assassin… elle comprend mon désarroi.

— Je dois refaire une prise de sang dans un laboratoire spécialisé !

Je descends encore d’un étage, mais je n’ose toujours rien dire et je ne dis rien, preuve d’une mauvaise surprise… Rien à voir avec cette autre surprise, quand elle m’avait annoncé sa grossesse imprévue et pas prévisible… il y a déjà plus de trente années ! Là, c'est une claque dans la gueule ! Je la regarde, sans trop insister, mes mots me manquent et quelque part, c’est un aveu de faiblesse… je la regarde avec trop d’insistance, elle fuit mon regard… Je comprends que je n’ai rien compris… comme d’habitude et j’imagine qu’elle s’est posée déjà un tas de questions sans vouloir m’en parler. Je ne sais toujours pas quoi dire, est-ce grave… ? Ou pas… c'est le sang ! Alors c'est grave ?

Elle fuit mes propos, mais son regard… lui ne fuit rien du tout, sauf toutes les questions qu’elle s’est déjà posées, sans vraiment se les poser. Je perds pied et fuis la réalité, non sa réalité.

Le début de la fin… serait la fin du début… tant que ce n’est pas encore la fin de la fin.

Sur l’apparence, rien ne parait trop, si ce n’est ce regard vide et ce visage plus pâle que celui d’un ange perdu. Je n’ose ni être maladroit ni parler de rien, je ferme ma gueule et je suis conscient que c’est maladroit. Je sens mon regard luire de maladroites larmes.

Quoique qui se passera, rien ne sera plus pareil après. Nous déjeunons dans un silence bien trop religieux pour un athée. Je ne sais toujours pas quoi dire, j’ai la cafetière qui fuit et qui ne cherche rien à dire.

C’est une grande claque dans la gueule, je n’ose imaginer celle qu’elle s’est prise quand le toubib lui a dit, qu’il fallait une analyse de sang plus détaillée. Cela ne me rassure pas… pas plus pour elle, cela se lit dans ce regard… attendre, que l’analyse soit pire que la pensée.

Je fuis la réalité ! Est-elle à fuir pour autant ???

Je vais bricoler un peu cet après-midi, il y a toujours quelque chose à faire dans une vieille maison… mais je la regarde, au travers de la fenêtre de la véranda, allongée sur le canapé, je comprends que ses questions sont plus importantes que les miennes. Elle tente de regarder la télévision sans la regarder vraiment, c’est certain… habituellement elle lit… même la télé allumée…même pas un bouquin près d’elle. C’est certain elle cogite grave, c’est évident, mais elle ne dit rien, quand je lui demande comment elle va, elle esquisse un sourire forcé… enfin c’est ce que je vois. Le reste de l’après-midi, m’est triste, je n’ose imaginer ce qu’elle pense, ce qu’elle fuit, ce qu’elle craint, ce qu’elle ne se dit pas.

 

La soirée se passe presque comme d’habitude comme si de rien n’était, elle décide de se coucher dans le lit de l’autre chambre. Je ne peux point dormir… dans l’autre lit, ce doit être bien pire, je n’ose la rejoindre ce soir. Cette nuit me fut longue, mais cela doit être ridicule, à imaginer tout ce qu’elle doit penser toute cette nuit.

 

Le matin est ingrat, il traîne ses premières lueurs insouciantes aux humeurs des vivants… chacun de nous deux fuit la vérité…je sais que ce n’est pas une solution, mais y en-t-il une… et une vérité à se dire !

Je suis mal, je n’ose m’exprimer comme elle peut l’être. Les claques dans la gueule font bien plus mal à celui ou celle qui les reçoit. Je fuis mes responsabilités, elle fuit sa vérité… un verre de vin libère un peu la parole, non la mienne… mais la sienne et quelque part, c’est normal, je suis son compagnon. Les premiers mots sont entre réconfort et responsabilité. Je baigne dans un mutisme inavouable et qui me trahit… elle engage, après un autre verre, ses craintes. Je comprends qu’elle n’a pas beaucoup dormi, elle ne parle que de nos décédés… des bons moments avec ceux qui ne sont plus là, plus grave avec celle qu’elle n’a jamais connue, ma mère. Cela ne rassure en rien ce que je pense, pire ce que je dois être pour elle, ce que je me dois d’être, cela me blesse, encore une responsabilité, j’y étais prêt ! Mais non, on a beau se dire, on a beau y réfléchir, quand les mots tombent, ils n’ont plus le même sens.

 

Je l’entends parler avec sa sœur au téléphone comme si de rien n’était, elle ne dit rien à personne, je n’ai pas le droit non plus, d’en parler à notre fils. Elle a raison, ce ne sont que des globules blancs qui se foutent de la Covid, elle remet des bûches dans la cheminée. Comment dois-je donc me comporter ? Je ne le sais pas encore, attendre la prochaine analyse de sang ! Sans aucun doute. Tout autre comportement, elle ne l’accepterait pas et je ne le comprends pas… reste à attendre…

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